Dans l’Union Européenne, la filière culturelle et créative est marquée par une absence de cohérence entre les Etats en matière de politiques fiscales. Un frein ou un atout pour le développement de l’économie créative ?
En plein débat sur l’annulation d’une centaine de festivals en France faute de moyens financiers suffisant, les premiers constats d’étude du cabinet EY à paraître à l’automne 2015 portant sur 16 pays dont 13 européens fait apparaître la disparité des approches entre gouvernements européens en matière de fiscalité culturelle. L’absence de cohérence et de vision commune rend difficile la mesure de l’impact sur la structuration des industries culturelles et créatives des instruments fiscaux tels que la modulation de la TVA, les fiscalités dérogatoires et les subventions indirectes via crédits d’impôts.
Absence de cohérence
Dans les pays membres de l’union, la filière culturelle inclut des secteurs aussi diversifiés que le marché de l’art, la restauration et requalification des monuments historiques, les festivals, la production cinématographique, l’animation ou encore le livre. Problème : chaque mot ne revêt pas la même notion selon les pays.
Livre en deçà des Pyrénées, bien de service au-delà. « Il existe pas de dénominateur commun », regrette Alain Kouck, Président d’Editis Holding. D’où une absence de cohérence des politiques d’attractivité fiscale : comment harmoniser les taux sur les e-books, quand aucun Etat européen ne s’accorde sur la définition d’une book ? En attendant une définition, les taux de TVA réduits appliqués varient de 1 à 12 selon les pays : 0% au Royaume Uni à 12% en Lettonie.
Par ailleurs, les gouvernements n’attachent pas la même importance aux divers domaines culturels. Le secteur des monuments historiques n’est accompagné par des incitations fiscales dans seulement quatre pays européens sur treize, relève l’étude publiée par EY. Dans un pays riche de monuments antiques comme l’Italie, la restauration, l’entretien et la rénovation des œuvres ouvre droit à un crédit d’impôt de 65%.
Enfin, l’assiette fiscale n’est pas la même dans tous les pays de l’Union, étant donné que les crédits d’impôts de fonctionnent pas de la même façon. Seul point de convergence : la TVA, qui est l’unique impôt communautaire del’Union Européenne. Mais, le taux n’est pas identique dans chaque pays d’Europe. Netflix a négocié son taux de TVA au Luxembourg, jusqu’à ce qu’une directive du 1er janvier 2015 ne casse ce privilège.
Levier de concurrence
Problème : les industries cultuelles et créatives sont secouées par un phénomène de compétition fiscale. Les investisseurs, à commencer par les GAFA, s’installent là où la fiscalité est la plus faible, et les producteurs indiens vont choisir de filmer des vaches sacrées en Suisse pour éviter de payer des impôts de l’autre côté des Alpes.
Une fiscalité incitative ne se réduit pas à un taux d’imposition minimal : c’est aussi un arsenal de subventions et des taxes. Si la France se hisse à la troisième place des industries cinématographiques au monde, derrière le cinéma américain et indien, c’est en partie grâce sa triple politique d’abattement fiscal, de taxe sur les billets de cinéma et de subventions allouées aux collectivités culturelles. Difficile, pour les nouveaux Etats européens d’Europe de l’Est, de concurrencer le cinéma français.
On peut aussi parler de fiscalité indirecte à échelle régionale, lorsque la Région Alsace attire les producteurs de cinéma avec une subvention plus intéressante que celle allouée par la région Aquitaine. L’Alsace se justifie en avançant les efforts effectués par la région dans le domaine de la formation initiale aux métiers du cinéma.
Et si les européens, plutôt que d’uniformiser leur fiscalité, cherchaient à se spécialiser par domaine culturel, à condition de s’accorder, se demandait-on lors du débat organisé le 7 juillet par le laboratoire d’idées Le Forum d’Avignon ? On peut imaginer par exemple un système cohérent pour un domaine spécifique ou une activité donnée pour aider à la mobilité.
Taxer les OTT
L’Union Européenne commence à penser la fiscalité des industries culturelles et créatives alors même qu’elle est confrontée aux enjeux du numérique, à commencer par celui du financement participatif. Il y a déjà trois ans, en 2012, le Centre des musées nationaux, sous la tutelle du ministre de la Culture et de la Communication, a fait appel aux “backers” pour soutenir financièrement la restauration de quatre monuments du patrimoine français : le Panthéon, le Mont-Saint-Michel, les statues Hippomène et Atalante du Domaine national de Saint-Cloud et la “Dame Carcas”, emblème de la cité de Carcassonne. Le crowdfunding, une forme de mécénat sans crédit d’impôt.
Bien plus préoccupante est la difficulté que rencontre les Etats Européens, à commencer par la France, à taxer les GAFA. « Invitée de l’Association des journalistes médias, mercredi 8 juillet, Fleur Pellerin a qualifié de «cauchemar» le projet de faire contribuer les plateformes OTT à la création », cela en raison de conventions bilatérales et européennes ; « des expertises sont néanmoins réalisées par l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) pour voir si un volume métrique peut être taxable, permettant d’appréhender les gros consommateurs de vidéos qui profitent de fortes rentrées publicitaires », rapporte l’hebdomadaire Stratégies. (http://www.strategies.fr/actualites/medias/1020278W/fleur-pellerin-qualifie-de-cauchemar-le-projet-de-taxer-les-geants-du-net.html) L’enjeu est crucial : impossible de préserver l’exception culturelle française sans faire contribuer à la création audiovisuelle les géants du net à l’instar de YouTube, Google ou Apple.
Journaliste, chargée de la rubrique "Médias" d’Intégrales Mag, pure player d’Intégrales Productions, agence spécialisée dans les reportages télévisés en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique. Publie en outre régulièrement des papiers de réflexion dans RFI Atelier des médias, MétaMédia France TV Info, mais aussi CB News, Libération, et Le plus de l’Obs. Passée par l’ENS et titulaire d’un master II de philosophie, sensible aux enjeux de l’information et des nouvelles formes de communication.
Son blog : http://myslowmedia.tumblr.com/
Sur Twitter : @ClaraSchmelck
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