L’inopposabilité aux auteurs français d’une transaction collective américaine (arrêt de la Cour de New York, « Google Books »)
Le syndicat des auteurs et l’association des éditeurs améri- cains, la Authors Guild and Association Publishers, ont déposé en 2005 une plainte en nom collectif, une « class action », contre Google Inc., société américaine ayant son siège social en Californie.
Poursuivant son projet de constitution d’une bibliothèque numérique, la société Google a conclu en 2008 un accord avec les éditeurs et les auteurs dans lequel elle s’engageait à rémunérer les auteurs dont les livres avaient déjà été numérisés sans autorisation (plus de 12 millions d’ouvrages). Dans sa décision du 22 mars dernier, le juge de la Cour fédé- rale de New York, Denny Chin, a refusé d’homologuer cet accord en estimant qu’il n’était ni équitable, ni proportionné, ni raisonnable. L’accord proposé par Google, soumis au droit américain, prévoyait la soumission de tous les intéressés n’ayant pas manifesté la volonté de le répudier. Dès lors, tous les auteurs publiés aux Etats-Unis étaient supposés y consentir sauf déclaration contraire : c’est un système très singulier.
Cette transaction aboutissait à ce que Google soit autorisé à numériser et communiquer tout ou parttie d’œuvres améri- caines et étrangères, la plupart émanant d’auteurs introuva- bles (les « œuvres orphelines »), en contrepartie de quoi la somme versée par Google à cette occasion (125 millions de dollars) devait être répartie entre les auteurs et les éditeurs. Cette transaction était une régularisation car les œuvres avaient déjà été numérisées. Si le juge Chin l’avait homolo- guée, elle eût été opposable au monde entier en appliquant de façon universelle le droit américain car les ouvrages numérisés avaient été publiés aux Etats-Unis.
Comment comprendre cette « class action », débouchant sur une transaction ?
On est en présence (sans même évoquer les aspects de conflits de lois et de juridictions, pas minces) d’une double question de droit civil et de droit processuel. Il s’agit d’une transaction conclue par certaines personnes qui, par le biais de la class action, eût été opposable à des collectivités entières d’auteurs et d’éditeurs - américaines et étrangères. Par comparaison, en droit français, la transaction qui est un acte original, à la fois un contrat et un jugement n’aurait en toute hypothèse qu’une autorité relative (art. 2051 c. civ.). Heureusement pour les auteurs, le droit américain prévoit un peu comme en France un système d’homologation. Par ailleurs, malgré une forte tentation, la class action n’existe pas encore en droit français et un cas comme celui de Google n’est pas de nature à favoriser son introduction, Brr !
Comment fonctionne le système « opt in »/« opt out »
C’est une question essentielle de droit des contrats du commerce électronique. Est-ce qu’on est censé accepter un contrat individuel ou collectif - ou des conditions générales - du simple fait qu’on ne réagit pas, le refus devant se manifes- ter par une déclaration expresse (système de l’opt out) ou est-ce que l’acceptation ne peut se manifester que par un acte positif et volontaire (système de l’opt in) ? En matière de droit de la consommation, les règles euro- péennes se dirigent clairement vers le système opt in, seul protecteur de la partie faible. Dans le cas de Google, il aurait fallu que les auteurs du monde entier, à supposer qu’ils aient été préalablement informés, se manifestent auprès des avo- cats des plaignants, ce qui n’est pas bien sérieux, en dépit des mesures de publicité dans les journaux européens, qui avaient été insérées à cet effet.
Comment envisager la répartition du montant versé par Google à l’ensemble des auteurs et des éditeurs concernés ?
Le juge a relevé que Google avait mis les auteurs et les édi- teurs devant le fait accompli, les conditions n’étant pas prê- tes pour régler une question aussi importante que l’utilisation électronique des livres. Quelle peut être la source d’un tel accord ? Le juge Chin semble considérer que ce n’est pas un contrat, fût-il homologué, tiré de la class action. Mais plutôt une norme légale, nationale ou supra-nationale.On peut ajouter que, à supposer qu’un tel accord intervienne plus tôt dans la négociation des parties, il reste le problème essentiel et inextricable de la répartition du montant collecté auprès de Google. Or, ce montant forfaitaire, rapporté au nombre d’auteurs et de titres, paraît assez faible, à proportion du nombre et de l’usage. Et comment cette somme pourrait-elle être répartie entre chacun des ayants droit ? En France, et pour s’en tenir à l’édi- tion, on est familiers de ce problème, avec la redevance sur le prêt des livres, ou celle sur la photocopie, au titre desquel- les les sommes versées aux auteurs et éditeurs sont modes- tes et non proportionnées à l’usage individuel de leurs œuvres préalablement identifiées. Enfin, on relèvera qu’en matière de droit de la concurrence le juge s’est également interrogé sur certains mécanismes aboutissant à de possibles pratiques anti-concurrentielles.
Pierre-Yves Gautier est professur à l'Université Panthéon-Assas
Cet article est également publié dans un recueil Dalloz, paru le 12 mai 2011.
Crédit photographique : Pierre Gorissen
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